« Faux positif ». Le sauvetage des victimes de la traite des femmes à la Merced.

« Faux positif ». Le sauvetage des victimes de la traite des femmes à la Merced.
Jaime Montejo, Brigada Callejera en Apoyo a la Mujer « Elisa Martínez ».
Traduction: Renaud Boivin, sociologue.
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Le jeudi 5 septembre semblait être un jour comme tous les autres. Les marchandes allaient et venaient vers le marché, des voyeurs et des clients nous fixaient des yeux, chaque fille avec l’espoir de travailler pour ramener quelques pesos à la maison. Mais, soudain, tout change : l’après-midi se congèle pendant un bref instant et tout se déroule avec lenteur : la police vient de détenir les travailleuses du sexe, les usagers de leurs services et mêmes des passants et curieux. Aucun opérateur, cependant, n’a été privé de sa liberté.

Dans les chambrettes, on nous a jamais demandé de payer un droit de sol, ca c’est un mensonge de la « procu » . On paye 50 pesos pour une petite pièce parce qu’aucun hôtelier nous fait cadeau. Ils nous dirent que ca faisait une semaine qu’ils enquêtaient et que personne n’avait le droit de nous exploiter et alors ils veulent quoi ? Que nos enfants meurent de faim ?

Dans les pièces de l’entrepôt , tout était sans dessus dessous. L’argent, ils se l’ont mis dans les poches, avec quelques préservatifs. Ils ont gardés les autres préservatifs dans des sacs comme pièces à conviction , ils ont pris des photos de tous les lits, des poubelles, et de chacune des femmes et des hommes détenus.

Le Ministère Public a publié sa version. Maintenant ce qui compte c’est notre voix et on refuse qu’un fils de pute parle à notre place. C’est pas juste qu’on se lève tous les jours et qu’on nous baise, pour qu’un fils de pute t’étiquette comme victime. Je travaille là-dedans à cause de la faim, personne ne m’oblige, ca c’est des mensonges.

Dans le bunker du parquet [procuraduría générale de justice], les gens tournaient en rond pendant qu’ils regardaient arriver les travailleuses du sexe de la Merced. Certains les regardent excités, d’autres disent que s’en est finit pour elles. D’autres ne semblaient pas donner d’importance à leur arrivée.

Si la justice sait d’où vient tous ces maquereaux qui ramène des adolescentes de la montagne, ¿pour quoi ils détiennent à autant de gens innocents ? Il y a un très grand réseau de corruption et les autorités se font beaucoup d’argent sur notre dos. Ce sont eux les vrais proxénètes !

En fait, la trajectoire des proxénètes remontent très loin, du temps où le peuple tlaxcalteque devait payer un tribut aux gouvernements aztèques. Lorsque ceux-ci ne pouvaient pas payer leurs quotas, ils devaient céder leurs femmes en tribut. Puis, le conquistador espagnol a continué avec ce commerce. C’est pour cette raison qu’il est difficile d’en terminer avec le trafic sexuel des femmes, de petites filles et d’adolescentes.

Je venais à peine d’arriver et ils m’ont prise d’assaut. Ils m’ont crié : vient ici ma poule. Ils m’ont mise à part, ils m’ont quitté le téléphone et quand j’allais aux toilettes, je devais laisser la porte ouverte pour qu’ils puissent voir ce que je faisais. J’étais avec plusieurs filles et un flic de la police judiciaire nous a demandé de lui donner nos affaires, et nous a crier qu’on lui donne nos vrais noms parce que si on faisait les connes, on allait voir de qui on se moquait !

La nouvelle a fait le tour de la Merced. Toutes les filles de tous les coins de rus ont appris la nouvelle et, les nerfs à vif, demandaient aux hôteliers si devait rester où s’en aller. Mais la maison perd tout si elles partent. Tout le monde était en alerte, certaines filles sont rentrées chez elles, d’autres ont continué leur journée.

Ils ont appréhendés dix clients, les autres s’étaient des flics qui nous demandaient combien on leur prenait pour un petit moment. Ils les ont passé en revue tout en leur disant : s’en est finit pour toi, salaud, tu viens d’être pris en flagrant délit de participation dans la traite des blanches. Ils les ont mis sur le côté gauche et nous ont poussées à droite.

Ils nous ont empêché de nous changer, nous ont obligé à rester avec les vêtements de travail, je crois que pour nous humilier encore un peu plus. Les curieux qui regardaient ce qui se passait pendant l’opération de police, ils les embarquaient aussi ; ils ont même embarqué le gars qui amène le gaz, un curieux que les flics ont pris pour un client.

Une nana est arrivée avec un client de la police judiciaire et à l’intérieur des chambrettes l’a plaqué contre le mur, comme ils font aux gens bourrés dans la rue quand ils leur volent leur argent.

Des dizaines de travailleuses du sexe s’assoient dans la sale d’attente de la Brigada Callejera de Apoyo a la Mujer (Brigade de la Rue en Soutien à la Femme) « Elisa Martinez ». Elles se regardent entre elles, chuchotent et écoutent avec attention celles qui prennent la parole, le temps de partager avec les autres ce qui leur est arrivé ce jour-là dans l’agence du Ministère Public.

Quand ils nous ont arrêtées, ils nous ont fait monter dans un camion sans explication et nous ont pris toutes nos affaires. On est resté un moment là avec les fenêtres fermées, on s’asphyxiait là-dedans ! On leur a demandé de nous laisser sortir et l’un d’eux nous a répondu qu’ils nous feraient descendre quand ils en auraient envie. Après, ils nous on donné un sac noir dans lequel on nous a demandé de déposé nos affaires. L’un d’eux m’a demandé mon nom d’origine ; alors je lui ai répondu comment il savait que j’avais deux noms, et expliqué que j’utilisais celui que m’avaient donné mes parents.

En bas, dans la rue Corregidora, les gens du quartier savent très bien pourquoi les travailleuses du sexe se réunissent et d’un pas pressant montent jusqu’au local du département 204 de l’immeuble du 115. Il s’agit d’un lieu de lutte : la Brigade de la Rue travaille depuis 20 ans contre le trafic des êtres humains , pour la défense des droits de l’homme dans ce secteur social et contre la vih/sida en contextes de commerce sexuel.

A une des nanas ils lui ont dit, « tu fais quoi là, petite salope, t’appelles qui ? ». Il lui a même dit qu’elle allait crever si elle ne collaborait pas avec eux, ils lui ont vraiment mal parlé, jusqu’à la faire chialer, ils se moquaient d’elle. Partout où ils nous emmenaient, ils nous filmaient. Pareil avec les clients. Les pauvres, ils sont pas près d’avoir envie de revenir à la Merced « s’occuper » avec nous ! A celui qui m’interrogeait, je lui ai demandé : pourquoi tu m’as emmené ici, alors que c’est mon travail ? Tu vas leur donner à bouffer, toi, à mes gosses ?

La peur se ressent entre les femmes qui racontent leur expérience, durant l’opération de police anti-traite des jours derniers. Cependant, elle se donne du courage entre elles, et elles continuent de raconter ce qui s’est passé, elle repasse chacune ce qui les a le plus marquées, ou ce qui leur a parut le plus humiliant.

Quand ils te choppent, tu dis jamais « oui » à ce qu’ils veulent de faire dire dans la déclaration ; tu dis seulement « Non » et tu signes sans même lire puisque de toutes manières ils ne te laissent pas le faire ; tu donnes seulement ton témoignage qu’eux accommodent comme ils veulent, parce qu’ils ne te laissent même pas voir ce qu’ils t’ont fait signer. (…). La plupart des filles qui furent détenues ce jour-là ont pris peur et ont changé de coin pour travailler. Ils ont arrêté 26 nanas environ. Je me suis opposé, et les flics de la PJ gueulaient : ils me demandaient si je connaissais le type de la photo, en me prévenant que si je mentais et que je disais que je ne le reconnaissais pas, ma photo allait paraitre dans les journaux et à la télé, comme ont déjà été publiés les photos des 3 personnes qui ont été arrêtés pour un délit qu’ils n’ont même pas commis.

Personne ne sait à quel tribunal ont été jugés les cas des deux femmes et d’un homme détenu pendant l’opération policière. Ils attendent que l’un de leurs clients de la police judiciaire leur disent où se jugent ces cas pour démentir les mensonges qu’ont leur a fait signer dans le bunker.

Ils m’ont même menacée ! Ils m’ont raconté que, selon les déclarations d’autres nanas, j’étais là-bas aussi, et que si je ne corroborais pas leurs déclarations, j’allais être jugée complice. C’est leur manière de travailler à eux, ils t’intimident pour que tu raconte ce qu’ils veulent entendre.

La majorité des femmes qui se trouvaient présentes lors de la razzia sont des mères et des pères de famille en même temps ; elles ne bénéficient d’aucun soutien et gagnent leur vie du travail qu’elles effectuent dans la rue. Leurs enfants vont à l’école et en général elles paient une autre personne pour les garder pendant leur journée de travail.

Moi, comme je lui ai dit à celui qui m’interrogeait, je ne peux pas accuser cette personne que je ne connais même pas et qui ne m’a rien fait ; que moi aussi j’avais une famille comme elle et que je n’aimerai pas qu’on me mette en taule alors que je suis innocente, parce que personne n’allait s’occuper de mes enfants.

Les filles qui sont présentes lors de la réunion d’information s’inquiètent qu’on leur ait fait un examen psychologique sans leur consentement. Elles ont extrêmement peur et pensent que les autorités prétendent manipuler les faits pour dire qu’elles se trouvent à la merci des proxénètes. Elles sont paniquées de ce que les agents de police peuvent leur faire, ceci affectant leur santé mentale.

Moi aussi j’ai senti qu’ils voulaient m’avoir, me baiser par les mots. Au sujet du mec détenu, ils m’ont dit que ce fils de pute avait déjà été en prison, et que l’une des femmes était une proxénète. Mais elle travaille comme moi, je leur ai répondu. On m’a demandé qui était mon proxénète, et je leur ai expliqué que j’en avais pas. Alors ils m’ont prise pour une menteuse, et on m’a fait attendre toute la nuit, pour finalement me faire signer un papier que je n’ai pas lu parce qu’ils ne m’ont pas permis de le faire.

Quelques-unes d’entre-elles regardent leur montre, d’autres répondent à des messages sur leur portable, mais aucune ne s’en va avant que la réunion ne se termine. Pour certaines, c’est leur première détention dans une opération de l’autorité contre le traffic d’êtres humains. Elles se préoccupent puisque leurs données personnelles se retrouvent entre les mains des agents de police.

J’ai peur. Non, mais ils jouent à quoi ? Ils m’ont menacé, ils ont été jusqu’à me prendre en photo sans mon autorisation. J’ai passé tout mon temps à prier, à demander à Dieu qu’ils me posent rapidement leur question et me laissent partir. On m’a posé une foule de questions : comment s’appelle le père de tes filles ? On m’a demandé si je savais qu’on pouvait me les enlever si je n’accusais pas les autres ; on m’a dit que j’avais aucun droit sur mes filles à cause de ma « vie galante ».

L’âge des femmes qui témoignent oscille entre 20 et 32 ans. Certaines ne savent ni lire ni écrire. Elles viennent des États de Puebla, Tlaxcala, Tabasco, Guerrero, Hidalgo, Veracruz, Chiapas, Michoacán et du District Fédéral, et c’est la nécessité économique qui les a poussées vers le travail du sexe. Elles ont une famille à maintenir et personne ne les aide dans cette entreprise.

Ils m’ont interdit de me changer. « Arrêtes de faire la conne », m’a dit l’un d’entre eux ; qui m’a demandé brutalement: « Qui t’a poussé à te mettre dans ce merdier ? Tu connais ce fils de pute ? Mais oui, bien sûr que tu le connais, arrêtes de me prendre pour un con ! Regardes-toi, regardes à quoi ils t’ont réduit. Mais t’as pas honte de t’habiller comme ca ? ».

Ce jour-là, aucune des sénatrices ou députées, de celles qui sont engagées dans la révision de la Loi Générale en Matière du Trafic des Personnes , n’est présente pour les écouter. De fait, le Réseau Mexicain du Travail du Sexe (Red Mexicana del Trabajo Sexual) a demandé un rendez-vous au Sénat, mais il n’y aucune réponse de de la part de celui-ci et Cristal Tovar Aragón est la seule députée qui est venue leur rendre visite.

Quand on est arrivée au Ministère Public, ils nous ont mise dans une pièce toutes ensembles puis ils ont commencé à nous nommer une par une et à nous donner un numéro pour nous appeler plus tard, comme ils font avec les prisonniers. Après ils nous ont dit : maintenant, celles qui veulent bien collaborer peuvent partir, et les imbéciles qui refusent restent ici.

Absentes, les femmes qui disent vouloir les sauver de la traite des blanches et de la prostitution, que ce soit depuis le discours abolitionniste ou de la vision chrétienne ; elles ne veulent pas entendre celles qui refusent d’être traitées comme des victimes ou qui revendiquent le droit d’exercer de manière honorable le travail du sexe.

Une femme leur a dit : « facilitez-moi la tache, dites la vérité si vous voulez qu’on en finisse au plus vite ». « Mais on a des enfants », ont répondu plusieurs des femmes. Alors elle leur a répondu qu’on pouvait appeler chez nous. Quand une amie lui a dit « ma fille », elle s’est scandalisée et lui a rétorqué qu’elle ne devait pas lui manquer de respect, qu’elle avait fait des études et que cela lui avait beaucoup couté, alors que dans notre cas la plupart on était même pas arrivé à terminer l’école primaire.

Des chaises vides. Ce sont celles de ceux qui ont donné l’ordre de les arrêter, de les menacer pendant leur déclaration, de leur soutirer des données personnelles, ce qui est contraire à la loi. Les chaises vides sont celles des fonctionnaires de la Commission des Droits de l’Homme du District Fédéral (CDHDF) qui exerce une violence symbolique contre ce secteur de travailleuses, en niant leur existence-même ; en niant leurs droits, alors que ceux-ci sont reconnus pour d’autres secteurs opprimés, tels que la population LGBT.

Ils nous ont divisées en petits groupes pour prendre note de nos déclarations. « Alors, racontes-moi, que c’est-il passé ? Comment t’appelles-tu ? Tu vis où ? Passes moi ta carte d’identité. » « Non, mais je l’ai pas sur moi ». « Alors on va la chercher », m’a dit l’agent de la police judiciaire. « Mais je sais juste que c’est sur l’Avenue Barranca del Muerto. » « Mais comment tu sais pas où t’habites, imbécile ! ». J’ai donc appelé chez moi et mon fils leur a donné l’adresse complète. Il a pris peur quand il m’a entendu, il m’a demandé ce qui se passait ; alors je lui ai répondu : « Mais rien, t’inquiètes pas ». Alors, bah, il est pas con, il n’a rien dit et s’est mis à sangloter. Il a seulement 9 ans.
Quelqu’un arrive et demande où sont les préservatifs, une autre fonctionnaire demande les rapports du service de colposcopie ; on leur donne les informations. (…).

On m’a demandé si je connaissais Virgilio et les autres nanas détenues. Je leur ai répondu que je ne les connaissais pas. J’ai essayé d’expliquer que ca fait 3 ans que je travaille là-dedans et que normalement je fais ca dans des hôtels seulement ; je leur ai dit aussi que c’est pas souvent que je vais à cet entrepôt, parce que, habituellement, je fais ca ailleurs, mais vu que là où je vais d’habitude dernièrement y a pas de clients, j’ai décidé de tenté ma chance ici. Qui m’a mise dans la rue ? Et bien, une nana qui est morte depuis. Quoi ? Bah oui, comme je vous dis, elle est décédée lorsqu’elle a eu son premier enfant, dans sa ferme. Je lui ai expliqué que je prends 140 pesos pour un service de 15 minutes et que je ne paie rien d’autre que le papier w-c et les préservatifs. Il a insisté, énervé, parce que selon lui ma déclaration ne coïncidait pas avec ce que disaient les autres femmes.

Certaines n’ont jamais assisté à un atelier sur les droits de l’homme pour les travailleuses du sexe. C’est probablement parce qu’on leur à dit qu’à la Brigade de la Rue, on fait arrêter les maquereaux [explique l’auteur avec ironie]. De ce fait, certaines ne savaient même pas qu’elles avaient des droits [en tant que travailleuses du sexe], ni qu’elles pouvaient exiger de le exercer quand elles se retrouvent devant les fonctionnaires de police de la PGJDF. Certaines se sont à peine insérées dans le commerce du sexe quelques mois auparavant. Aucune d’entre-elles n’avaient moins de 18 ans.

Ils m’ont posé des questions au sujet de Wendy, c’est-à-dire Karla. Je leur ai dit qu’elle était comme moi, qu’elle recevait aussi des clients. Ils devaient surement trouver une autre nana à arrêter. Elle n’a surement pas voulu collaborer, comme d’autres. Je ne suis pas une nerveuse, mais ce jour-là ils m’ont vraiment mise hors de moi. Ils m’ont dit qu’ils allaient faire des recherches au sujet de mon mari, qu’ils pensaient que c’était un maquereau qui, comme beaucoup d’autres, rackettait les femmes dans les lieux où on gagne notre pain quotidien. C’est pour ca que j’ai peur maintenant. Ils savent où je vie, ils savent où mon fils fait ses études, ils ont toutes mes données personnelles ! Qui sait s’ils vont pas essayer de nous mettre à faire la tapin pour eux [padrotear] ? Qui me garantie du contraire ?

La sonnette du bureau a retentit plusieurs fois, imitant le chant des oiseaux. Pendant un moment, elles restent toutes à l’écoute, puis elles continuent leur narration. Il faut encore donner des précisions pour que les gens comprennent ce qui s’est passé ce jeudi-là.

Est-ce qu’ils nous ont donné à manger ? Oui, ils nous ont offert un peu de saucisse, quelques flageolets, un riz qui baignait dans la graisse et de l’eau. Moi j’ai rien mangé. Comme je dis, c’est pour ca que je travaille, pour bien manger avec mon fils, pas pour bouffer de la merde ! Ils m’ont demandé si j’avais faim : « non, j’ai pas pour habitude de bouffer comme un chien. » « Jettes-le alors. » C’est ce que j’ai fait. Puis la fonctionnaire nous a expliqué que la police allait réaliser d’autres opérations [de ce type] dans les hôtels de la Merced et que valait mieux pour nous qu’on s’trouve un boulot décent. Elle s’appelle Juana Camila Bautista, c’est la fiscale. Elle nous a raconté aussi qu’ils allaient chopper tous les proxénètes, qu’on n’était pas arrivé toutes seules dans ce bordel, qu’on nous oblige à faire ce sale boulot, et que vu qu’on avait fait nos déclarations, les autres femmes allaient nous lyncher parce que on est des souffleuses.

Alors que les différentes oratrices parlent, une affiche déclame sa légende en silence : « Le trafic d’êtres humains est le résultat de la violation des droits de l’homme ». Mais alors pourquoi violer de la sorte les droits de l’homme des victimes présumées de cette traite des blanches ?

Je lui ai répondu que je suis arrivé à ce lieu parce que j’aime l’argent, parce que je dois donner à manger à mes gamins et qu’avec 200 pesos je ne pouvais pas m’en sortir pour payer le loyer, la nourriture, l’école, le transport et les livres de mes enfants. Que je me prostituais déjà avant, dans mon autre travail, avec mon chef. Que celle qui a des études et un travail, pense différemment parce qu’elle n’est pas dans nos basquets, elle ne vit pas nos problèmes. On nous critique et on nous insulte, sans savoir qu’on se protège, qu’on utilise le préservatif et qu’on fait gaffe avec les clients. Les femmes seules comme moi, on a du mal à éduquer nos enfants, c’est pour ca qu’on fait le tapin. En plus on doit supporter la pluie. C’est pour ca que je « m’occupe » pour pas cher ; je choisis mes clients et si l’un d’eux est mignon, j’en profite et en plus on me paie. Je leur parle bien, je leur dit que j’ai des besoins et ils me comprennent.

Le travail du sexe ne s’est pas arrêté (…).De nombreuses femmes continuent d’offrir leurs caresses aux passants pressés. La traite des blanches s’intensifie avec cette opération de police, puisqu’en effet il n’y avait aucune victime de trafic d’êtres humains entre les personnes détenues, et aucune d’entre-elles n’a voulu déclarer contre les exploiteurs du fait de la manière violente et intimidante avec laquelle elles ont été traitées par les policiers. Elles ont signé ce que les agents les ont obligé à signer dans le « bunker ».

Comme j’ai dit à la fonctionnaire, elle et les agents nous ont retenues, nous ont privées de notre liberté, alors que là où je travaillais, je n’avais jamais été obligée ni enfermée. On nous a obligées à passer devant le médecin et le psychologue…dans ses conditions, comment ne pas être traumatisées après cette razzia et les menaces qu’on nous a faites ? Après on dira que notre travail nous rend folles, alors que c’est eux qui nous font perdre la tête !

Dehors la vie continue son cours. Une voix électronique offre des remèdes magiques pour tous les maux du monde. La vente ambulante continue pendant que la réunion de celles qui dénoncent un « faux positif » pendant l’opération de sauvetage des victimes de la traite des blanches, suit son cours ; celles-ci ont été inventées par les autorités du Gouvernement di District Fédéral. Ce ne sont pas des victimes.

Nous sommes indignées et vexées parce que, c’est pas vrai, on a pas été sauvées, on on peut dire que nous avons été « levées » par les agents, qui ont agit de la même manière que des trafiquants de drogue. Ils sont où les droits de l’homme ? Je voudrais mettre de l’argent de côté ; ouvrir un commerce et apprendre l’informatique. Le travail du sexe, personne ne m’oblige à le faire, je le fais quand je veux, et quand je veux aller voir mes enfants, je peux le faire ; aucun maquereau m’en empêche ! Je suis à la fois père et mère de famille. J’ai plus de couilles que beaucoup d’hommes qui nous font des enfants et se cassent en nous les laissant sous les bras ! Alors dans les déclarations, j’sais pas trop ce qu’ils ont écrit, les flics du Ministère Public.

Existe t-il des rapports de classes dans la lutte contre le trafic des êtres humains ? Mais bien sûr : alors qu’à la Merced, les hôtels et immeubles où le gouvernement présume qu’il y a trafic d’être humains ont été fermés ; à l’inverse, les mansions qu’utilisent certains maquereaux de la rue Sullivan , même si elles été dénoncées publiquement à partir du témoignage des survivantes, restent ouverte : là, il n’y a eu aucun détenu. Tout dépend du niveau socio-économique des personnes qui sont présumés coupables.

L’opération de police a eu lieu le jeudi 5 septembre dans les chambrettes de la rue General Anaya à 2h de l’après midi, mais on ne nous a pas laissé sortir avant le vendredi à 2h30 du matin. Dans les entrepôts où nous a été arrêtées, ca fait 30 ans que le commerce du sexe existe. En fait, ils les avaient fermé pendant quelques jours le temps de trouver un accord avec la mairie d’arrondissement [délégation], selon le témoignage de l’une des interviewées. Il ne s’agit donc pas d’un nouveau commerce. Quelques minutes avant la razzia, des inspecteurs de l’Institut de Vérification Administrative du District Fédéral (INVEA) sont passés, se dirigeant vers l’Hôtel Hispano. Il s’agissait d’un homme et d’une femme, lui portant un gilet de l’Institut et elle avec une tablette dans laquelle elle notait des informations tout en marchant. Tous les deux avaient plus de 40 ans. Ce sont eux qui ont alerté la police, selon ce qu’ont raconté des témoins, qui préfèrent omettre leur nom par peur des représailles. Le paiement qui est régulièrement fait aux autorités ne devait pas être suffisant.

La commémoration prévue par les autorités démocratiques du District Fédéral pour la Journée Internationale contre l’Exploitation Sexuelle Commercial, qui occupe le calendrier le 23 septembre, s’est réalisée en violant les droits de l’homme des travailleuses du sexe et des victimes présumées de la traite des blanches. Peu importe si l’action a été réalisée sans reconnaitre les droits de l’homme des femmes travailleuses du sexe, puisqu’il s’agit seulement de donner une bonne image [du gouvernement local] aux yeux des votants, et de simuler une politique de sauvetage que l’opinion publique puisse applaudir sans trêve.

La Brigade de la Rue « Elisa Mártinez » et le Réseau Mexicain du Travail Sexuel commémorent ce jour en dénonçant ce qui s’est passé dans les entrepôts lors de l’opération policière : la violation des droits de l’homme des personnes qui, finalement, importent peu. Mais aussi en présentant, au cours d’un forum, l’ABC du Trafic d’êtres humains (ABC de la Trata de Personas), un livre réalisé avec des travailleuses du sexe, des journalistes communautaires, des promoteurs de la santé et des éducateurs de rue ; un document qui ne porte d’autre titre que celui que lui ont donné la rue et la dignité.

La Brigade de Rue en Soutien de la Femme « Elisa Mártinez », fait partie du Réseau de l’Amérique Latine et des Caraïbes de l’Alliance Globale contre la Traite des Femmes (GAATW), un réseau international unique contre le trafic des êtres humains dans le monde, qui reconnait les droits civils, les droits de l’homme et les droits du travail des travailleuses du sexe.