Mexico : un meurtre révèle les violences faites aux trans

Mexico : un meurtre révèle les violences faites aux trans

Par Jo Tuckman

octobre 13, 2016 | 11:04 am
La semaine dernière, des manifestants sont descendus dans les rues de la ville de Mexico pour dénoncer le meurtre d'une prostituée transgenre. Ils ont bloqué le trafic automobile — en chemin vers le centre funéraire — avant d'ouvrir le couvercle du cercueil pour que tout le monde puisse voir la défunte.

Cela s'est passé à l'endroit même où elle est morte, quelques jours plus tôt. Le but était de faire en sorte que le grand public s'intéresse à l'affaire, et qu'il s'indigne. Si ces gens manifestaient , c'est parce que pour eux l'assassin est reparti du tribunal sans être inquiété.

Ils demandent justice pour la victime, Paola, 25 ans. Le drame a mis en lumière les agressions quotidiennes qui ciblent la communauté LGBTQ en Amérique latine et centrale. Malgré des progrès notables ces dernières années, les personnes trans comptent parmi les populations les plus vulnérables de la région. Elles sont souvent visées par des agresseurs rarement inquiétés.

« Cette affaire est importante », explique Rocio Suárez. Elle travaille au Centre de soutien pour les identités trans, un groupe de défense des droits. « Cela donne de la voix et de la visibilité à un groupe qui est presque toujours ignoré. »

Des affaires souvent délaissées

La ville de Mexico est souvent fière de se présenter comme une bulle progressiste dans un pays et un continent le plus souvent conservateurs. En 2009, des élus locaux ont approuvé le mariage pour les personnes du même sexe. En 2015 ils ont approuvé des réformes législatives permettant aux personnes trans de changer leur genre sur leurs certificats de naissance.

Reste qu'au quotidien, la communauté trans doit toujours composer avec des épisodes de rejet, au sein de leur famille ou dans leur vie professionnelle. La prostitution est souvent le seul emploi permettant aux trans de vivre leur identité ouvertement et de gagner de l'argent.

Jaime Montejo travaille pour un groupe de défense des droits des travailleurs du sexe, Brigada Callejera. « Mexico est un endroit où il y a eu des avancées concrètes en termes de législation et de discours », dit-il. Mais « en pratique sur le terrain, c'est une autre histoire, il y a encore beaucoup de haine envers la diversité sous toutes ses formes, en particulier envers les trans. »

D'après des militants pour les droits des trans, la police essaie rarement de pourchasser ceux qui sont suspectés de tuer des personnes trans. Ces meurtres ne font pas l'objet d'enquêtes poussées.

Dans le cas de l'affaire de Paola, le suspect était assis à côté d'elle sur la scène de crime, avec un pistolet.

Pour Rocio Suárez —même si des meurtres d'activistes LGBT ont pu faire du bruit par le passé — le cas de Paola a un écho particulier. Une pétition en ligne sur Change.org a reçu plus de 7 000 signatures. Le hashtag #JusticiaParaPaola a été également populaire.

D'après la dernière étude internationale du genre, qui se base sur des données collectées auprès de militants locaux par le groupe de pression Transgender Europe, il y a eu 2 115 meurtres de « trans » dans 65 pays, entre janvier 2008 et avril 2016. 78 pour cent de ces meurtres ont eu lieu en Amérique latine.

Le Brésil est en tête, avec 845 meurtres, le Mexique arrive en deuxième position avec 247 personnes tuées. Les USA sont troisième avec un total de 141. Si l'on regarde les chiffres par rapport à la population totale d'un pays, le Honduras arrive en première position avec 80 meurtres pour 8 millions d'habitants.

Et la « bulle » de Mexico ne protège pas les trans de cette dure réalité continentale.

Le meurtre et la vidéo

Paola a été tuée le 30 septembre dernier. Un client venait de lui promettre 200 pesos (un peu plus de 9€) contre du sexe.

3 collègues de Paola avaient déjà refusé une passe à ce client. Kenya est l'une d'elles, c'était une amie de Paola. Kenya nous a expliqué qu'elle avait eu un mauvais pressentiment à propos de ce client, mais sans nous expliquer exactement pourquoi.

Kenya raconte que la voiture dans laquelle était montée Paola s'est arrêté quelques mètres plus loin sur la route. Suffisamment près pour qu'elle puisse entendre les cris. Puis deux coups de feu. Kenya a couru en direction de la voiture, à temps pour identifier le client. Celui-ci tenait un pistolet et repoussait le corps mou de Paola.

Bouleversée, Kenya a immédiatement arrêté une voiture de police qui passait. Elle a commencé à filmer sur son téléphone, une fois que les policiers ont désarmé et arrêté l'homme. On voit Paola sur le siège passager, la bouche ouverte. Ensuite, la caméra se tourne vers la voiture de police, on peut voir le suspect clamer son innocence.

« Elle est en vie », crie Kenya dans la vidéo. « Paola, tiens bon, tiens bon, tiens bon. »

Le suspect a d'abord fait 48 heures de détention, avant d'être relâché par un juge. Il estimait que la police n'avait pas assez de preuves. Le suspect, d'après Rocio Suárez, a expliqué qu'une dispute avait éclaté après qu'il s'est rendu compte que Paola n'était « pas une femme » et qu'elle a essayé de le voler. Il a indiqué au juge qu'il n'avait aucune idée de comment Paola avait finir par se faire tirer dessus à deux reprises.

Le retentissement médiatique de la vidéo de Kenya et de la manifestation fait qu'elle et ses proches ont bon espoir qu'une cour de justice supérieure revienne sur cette première décision.

« C'est triste à dire, mais peut-être que nous avions besoin de quelque chose comme ça pour que les gens réalisent ce qu'il se passe. »